+ Énergie sexuelle, pulsions de vie, structure de la chaîne du vivant, désir, connaissance, remède– Dichotomie entre désir et expression, peur ou refus de la sexualité et des comportements liés à la sexualité, manque d’amour et d’humanité, énergie sexuelle agressive
Les rêves de serpent sont très fréquents chez les adolescents et les adultes. Ces rêves sont très puissants et laissent un sentiment de malaise la plupart du temps. Dans la psychanalyse freudienne, le serpent est couramment assimilé à une forme phallique, au sexe masculin lui-même. Cette vision est assez réductrice. Le serpent symbolise bien plus. Il est le symbole de l’énergie sexuelle elle-même. C’est pour cela qu’il n’apparaît pas dans les rêves d’enfants, à moins d’une grande précocité ou d’une confrontation malencontreuse à cette énergie.
Ce symbole se manifeste le plus souvent quand cette énergie s’éveille et n’est pas utilisée. C’est soit par blocage, soit par manque de moyens ou d’occasions d’expression. Il peut s’agir d’une difficulté à trouver un ou une partenaire ou si nous refoulons notre aspect sexué par la contrainte d’une éducation trop rigide. Les rêves de serpent sont l’expression d’une crainte de cette énergie qui cherche à s’exprimer. Si elle n’est pas utilisée ou transformée, elle remonte à la surface dans nos rêves. Mais elle apparaît sous une forme brutale et terrifiante, celle du serpent. La crainte qui naît en nous à ce moment-là est égale à celle que nous ressentons vis-à-vis de la sexualité. Le serpent peut donc représenter notre énergie sexuelle irrépressible, qui tendrait à submerger notre désir conscient, limité au champ des possibles que nous nous autorisons. Cette énergie apparaît alors comme régressive et annihilant l’image que nous avons construite de nous. Le serpent est en lien, évidemment, avec notre cerveau reptilien.
Le serpent peut se manifester sous toutes les tailles et toutes les couleurs dans nos rêves, plus ou moins terrifiants ou nous laissant froid. Il n’attaque que très rarement, provoquant plus de peur que de mal, mais il peut arriver de se faire mordre. La localisation de la morsure est importante dans le rêve. Si c’est à l’aine, la nature sexuelle du serpent est bien confirmée. Idem avec le pied, mais il s’agit alors d’une blessure ancienne qui a provoqué un réel blocage.
Un serpent peut aussi symboliser l’énergie d’une personne environnante dont nous percevons les pulsions et le désir évident envers nous. Un rêve où se dresse un serpent détaille humaine peut figurer un homme qui exprime plus son désir impulsif que sa passion amoureuse. Cette image est terrorisante pour une femme qui ressent des blocages physiques vis-à-vis des hommes, effrayée par les pulsions masculines tout autant qu’elle réprime les siennes.
L’image du serpent représente la froideur de la sexualité quand elle n’est pas transcendée par le sentiment amoureux ou quand le corps est nié dans son expression. L’amour, par sa chaleur, réchauffe et transforme ces pulsions archaïques pour mener l’individu vers une plus grande humanité. Seuls l’amour et la conscience sont capables de guider et de contrôler cette énergie, de la sublimer.
Dans la Genèse, le serpent est assimilé à la connaissance interdite, au péché. C’est lui le tentateur qui va inciter Ève à consommer le fruit de la connaissance et qui lui révèle : « Le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » (Genèse 3:1-24). Sachant que se connaître bibliquement, c’est avoir des relations sexuelles, le serpent est donc vu de la même manière symbolique. Or, dans ce contexte religieux, l’énergie sexuelle est taboue et devrait alors être réprimée. C’est la connaissance de soi, de sa nature individuelle qui est condamnée, mais c’est sans doute une mauvaise interprétation. C’est plutôt une mise en garde qui est évoquée. L’individu qui accède à son désir sexuel et l’exprime quitte le monde de l’enfance pour entrer dans le monde adulte. Il devient responsable de ses gestes et de ses actes. Il n’a plus personne pour lui tenir la main, à moins qu’il ne préfère rester un enfant obéissant à la voix du père ou de la mère. L’évocation même de cette énergie dans la Genèse est une mise en garde tout autant qu’une invitation relative à l’évolution des êtres humains, qui doivent se connaître dans leur chair. La femme « tentatrice » est le réceptacle et l’éveilleuse de cette énergie. Elle est l’égérie, la pulsion d’évolution qui guide l’homme vers son individuation et sa maturation.
L’énergie sexuelle est la plus puissante de nos énergies. C’est la pulsion de vie primitive. Si cette énergie du serpent est bien intégrée, elle s’épanouit alors en nous comme une énergie porteuse de nos désirs de vie. À ce moment, elle est sublimée et le serpent se transforme ; la puissance de mort qu’il contient devient puissance de vie qui nous fait évoluer tout autant qu’elle nous régénère. Dans le taoïsme et dans le tantrisme, la vie est associée à la transformation et au mouvement ; toute stagnation ou immobilisation est œuvre de mort.
Certaines religions demandent à ceux ou celles qui veulent mieux les servir de ne plus avoir de rapports sexuels. Cette énergie ne doit plus être dépensée, mais transformée, une fois reconnue, pour les porter encore plus loin dans leur quête d’absolu et de spiritualité. Il ne s’agit donc pas de réprimer le serpent, mais de l’accueillir et de sublimer sa nature, de sexuelle à spirituelle.
Dans la Grèce antique, dans le culte d’Asclépios, le serpent est le symbole du soin. Cette divinité est représentée avec un bâton et accompagnée d’un serpent. Asclépios est le premier des thérapeutes. Il est assimilé à Esculape chez les romains. On consultait Asclépios dans des temples consacrés et aménagés pour y dormir et confier son rêve au prêtre/interprète le lendemain. Si le pénitent/patient voyait apparaître un serpent dans son rêve, il était soigné. Cette symbolique demeure avec le caducée – le bâton d’Asclépios, à proprement parler –, symbole des médecins, où figure un serpent enroulé autour d’un bâton, surmonté du miroir de la prudence. Ce serpent se retrouve comme emblématique des professions de soins. Si le serpent est l’énergie de vie et la pulsion primitive, toutes connexions avec ce centre nous reconnectent avec notre vitalité, notre désir de vie fondamental, qui s’oppose à la pulsion de mort, à la maladie donc.
En Inde, dans la tradition tantrique, l’énergie sexuelle est sollicitée et utilisée dans des perspectives d’éveil. Il s’agit de stimuler le premier chakra (centre énergétique), situé la base de la colonne vertébrale, pour activer l’énergie qu’il contient. À l’intérieur de celui-ci est lové un serpent endormi, enroulé sur lui-même, appelé Kundalini. Son énergie est identifiée à Shakti, l’aspect féminin de Shiva. Quand ce serpent s’éveille, il se déroule et monte le long de la colonne vertébrale. C’est la montée de la Kundalini. Si l’individu est préparé, suffisamment initié et ans peur, à cet instant, il accède à la connaissance et à la conscience de sa nature divine.
Et enfin, dans le chamanisme, principalement en Amérique du Sud, le serpent cosmique est la représentation divine de la structure du vivant .Certaines expériences d’hallucinogènes permettent de se connecter avec le serpent cosmique et de se laisse ravaler par lui. Cette structure serait interne aussi et le serpent enroulé serait la perception de la double hélice de l’ADN. Celle-ci se retrouve dans le caducée et dans la vision tantrique de la Kundalini.
Le serpent est sans doute la représentation symbolique la plus universelle. Elle est communément à l’opposé de notre perception immédiate, celle de la peur et du recul, mais structure et source de vie, la pulsion même de la vie.