Peur inconsciente de l’homme et de la sexualité, peur du père instable, peur du passé, émotivité infantile, angoisse profonde, stress, souvenirs enfouis, attachement à la mère
Comme au cinéma, la poursuite est un thème récurrent des rêves. Il est possible d’ailleurs que ce soit le thème numéro un, ce qui expliquerait la fascination obsessionnelle et fastidieuse des réalisateurs (américains surtout) à nous en imposer, et à aimer autant casser des voitures. Les poursuites oniriques sont moins onéreuses en cascades et matériel, plus proches du film d’horreur que du thriller policier, à pied tout simplement, façon Shining mâtiné de La Cité de la peur. Les rêves de pour suites sont souvent très désagréables et totalement stressants. Ils vont de la simple angoisse au cauchemar qui nous tire du sommeil, haletant, parce qu’il n’y a pas d’autre issue.
Ce type de rêve est fait plus fréquemment par des femmes, dans une scénographie souvent similaire : des hommes poursuivent la rêveuse, qui n’a d’autre échappatoire alors que de fuir les prédateurs, dans des couloirs labyrinthiques ou dans un extérieur nocturne, une ville inconnue et sous le couvre-feu, ou dans une campagne déserte. Bien souvent, les jambes de la malheureuse ne lui obéissent pas ou mal, ce qui induit un ressenti d’impuissance tellement fort qu’il s’ensuit une anxiété paroxysmique. Si elle parvient à courir, les hommes la tenaillent de près, semblant prêts à toutes les vilenies à son encontre. Il est important de préciser que dans quatre-vingt-dix pourcent de ces rêves, les poursuivants sont ressentis plus que vraiment visualisés, à l’instar des armes qu’ils brandissent ; celles-ci sont supputées, mais ni vues, ni entendues. Quant aux intentions des hommes, si elles ne sont pas très claires, tout laisse accroire qu’ils en veulent à la vertu et à la vie de l’infortunée créature. C’est l’épouvante. Or, rien ne peut être prouvé quant à la dangerosité desdits poursuivants ; c’est une conviction intime de la rêveuse, mais rien n’est visible, ni affirmé ou verbalisé. Nous observons ici un pur état émotionnel, une croyance et une rétroprojection. C’est vraiment ce qu’on appelle se faire du (mauvais) cinéma.
La première explication à ce rêve est une peur névrotique, mais inconsciente, du monde des hommes, une peur liée à une incompréhension de leur nature. Ceci est dû à une méconnaissance du masculin, par une carence de la figure du père, la plupart du temps. Ce dernier n’était pas assez présent ou pas assez puissant pour offrir une image rassurante à l’enfant. De même, un père « soupe au lait », instable, violent ou hystérique est très déstabilisant pour la construction psychique de l’enfant, tout autant qu’un père démissionnaire. Il peut exister aussi des fables transgénérationnelles transmises par les aïeules qui tendent à diaboliser l’homme ou à introjecter une image très négative de celui-ci ; sous l’emprise de ces pulsions, ses comportements font craindre qu’il ne soit lycanthrope. D’autre part, les armes supputées sont des projections phalliques négatives faisant accroire que le sexe de l’homme peut tuer. Les hommes peuvent brandir aussi des couteaux. C’est l’aspect castrateur ou séparateur du père, surtout s’il y a eu divorce après conflit du couple.
Sachant que dans presque tous les rêves de poursuite la violence et la volonté de nuire des poursuivants ne sont jamais prouvées, le rêve de poursuite met en scène une terreur du masculin qui n’a pas de fondement concret. Bien sûr, le père peut avoir effrayé son enfant, de même qu’un homme proche ou de passage, mais s’il y avait eu agression, le rêve la mettrait en scène par des éléments tangibles et non pas appréhendés.
Les rêves de poursuites peuvent être faits aussi par des hommes, si le modèle du père était irrecevable, violent, incohérent et donc trop toxique. Le garçon aura pu alors s’identifier à la mère et ressentir un malaise dans sa construction ; il aura fui sa nature masculine. Les causes peuvent être elles aussi imputées au père ou à l’attachement éprouvé pour la mère. Cet attachement l’empêche de se réaliser et de s’identifier au modèle masculin. Cependant, la forme masculine peut poursuivre le rêveur parce qu’il doit être rattrapé par la forme adulte de l’homme pour le devenir aussi. Il doit donc affronter l’image du père. C’est la raison de cette poursuite, la poursuite de la vie et l’obligation de dépasser les géniteurs, sans les fuir.
D’une manière générale, les rêves de poursuites sont révélateurs d’une angoisse profonde, la peur d’être rattrapé par quelque chose. On peut être poursuivi par ses souvenirs, par son passé, des choses obscures qu’on a voulu enfouir ou par la culpabilité. C’est la peur de ne pas pouvoir assumer celles-ci.
Un enfant poursuivi par des voleurs a le sentiment qu’on veut lui voler une part de lui-même, de son enfance, ou encore que des personnes étrangères s’immiscent dans la vie privée de ses parents et lui volent l’affection qu’il attend d’eux.
Parfois cette fuite se résout en un vol onirique qui permet d’échapper à l’oppression. Ici, la toute-puissance mise en œuvre est un signe d’impuissance, malgré une belle imagination ; le vol est un refuge dans le mental. Sachant que la fuite est improductive, surtout quand elle se réitère durant de nombreuses nuits, il est important de se poser la question de savoir ce que l’on fuit. La prise de conscience de nos terreurs archaïques relatives à la forme masculine permet d’éliminer ces images récurrentes oniriques. À ce moment, il est possible de se retourner dans le rêve et d’affronter ses peurs ; il faut regarder le ou les poursuivants psychopathes en face pour le démasquer.
Bien souvent, quand nous nous retournons, les poursuivants s’avèrent de simples quidams, pas armés du tout, plutôt couards. Il est même possible de reconnaître des visages connus, comme celui du père ou d’un homme qui nous aurait assez impressionné quand nous étions enfant. Le coup de théâtre, c’est de reconnaître sa grand-mère, soudain penaude, celle qui a instillé la peur de l’homme. Dans ce cas, c’est soit par mauvaise expérience avec le genre masculin, soit en diabolisant l’homme par rivalité et pour jouer avec les émotions des petits-enfants, une manipulation issue de la toute puissance de la matriarche. Or, ces formes qui ont pu effrayé un enfant fortement régi par ses états émotionnels n’ont plus le même impact sur un adulte ; il peut les gérer en les regardant en face. Néanmoins, si le visage reste impressionnant, il est dès lors reconnu et permet de mieux savoir ce que nous avons à affronter.
C’est alors que les poursuites oniriques vont s’interrompre et c’est la fin de ces scenarii mortellement ennuyeux. Le cinéma intérieur ou extérieur a tout à y gagner.